Tuesday, November 24, 2009

Dorval (partie 3, 24 novembre 2009)

« Je repars d’ici. Tout de suite ! »
Yann posa sa chétive main sur la poignée de porte glacée.
Un déclic. Rien d’autre.
La porte était maintenant verrouillée.

« Wow ! Vous avez vu la taille de cet escalier ? »
Kevin avait maintenant les yeux tout-à-fait habitués à la pénombre. En outre, il ne s’aperçut pas le moins du monde que Yann était toujours figé devant la porte.
« Je me demande ce qu’il peut bien avoir en haut. Merde, regardez tous ces anciens meubles. »

Yann aurait voulu parler. Il ne le pouvait pas. Il ne le pouvait plus. Il était complètement paralysé par l’effroi.

« Cette chaise doit bien avoir mille ans. Regarde ça Kev ! »
Nicolas contemplait une vieille chaise de bois, ternie et pleine de fils d’araignée.
Il reprit : « Yann, regarde ça !
— Yann ? »
Kevin s’était tourné lui aussi.
« Yann, qu’est-ce que tu fiches là ? Viens voir ! Il n’y a personne ici.
Alex fut le premier à se précipiter vers son frère. Ses yeux trahissaient l’inquiétude, l’anxiété.
« Yann, ça ne va pas ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Partir… Je veux partir.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Yann ! Tu commences à me faire peur ! »
Mais Yann n’arrivait plus à trouver la force de parler davantage.
Son frère ne savait plus quoi dire ni quoi penser. C’était maintenant lui le plus brave de la famille.
Steve donna un grand coup dans le dos de son ami.
« Qu’est-ce que tu fous, merde ?
— Je crois que ça ne va pas. Regarde-le. »
Nicolas semblait également ne pas comprendre les craintes de Yann.
« Yann, dis-moi ce qui se passe. Dis-le moi. »
Kevin regardait droit dans les yeux de son meilleur ami. Des yeux qui semblaient complètement éteints. Il n’y eut aucune réponse.
« Parle-moi Yann ! Parle-moi ! »
Kevin perdait patience. Il n’avait jamais vu son ami de cette façon.

De longues minutes passèrent, de longues minutes de silence.

« Je crois que je n’ai plus le goût du tout de visiter cette maison. »
C’est Alex qui venait de préciser cela.
Tous acquiescèrent.
Alex tourna le dos à Yann, maintenant assis sur le sol, et tourna la poignée de porte.
La porte s’ouvrit.

Yann ne se préoccupait plus de rien. La porte qu’il avait tentée d’ouvrir quelques instants plus tôt était maintenant ouverte. La citrouille n’était pas tournée vers l’intérieur, mais bien vers le petit sentier.
Aucune importance.
Yann était foudroyé.
Il voyait toujours son frère et ses deux amis, mais comme éperdus dans un étrange brouillard. La peur avait été si vive, que l’esprit de Yann avait cru bon faire disparaître la crainte sous d’étranges rêveries plus rassurantes.
Un champ d’orge. Un feu derrière la maison.
De jolis souvenirs.

« Comment le transporter ? »
Alex, dans l’entrebâillement de la porte, fixait les amis de son frère.
« Attendez ! Peut-être pourrions-nous trouver un peu d’eau ? Pour essayer de le réveiller. Je ne sais pas moi…
De toute façon, nous n’arriverons jamais à le transporter. »
Nicolas se dirigea prestement vers l’intérieur de la maison.
Vers la pénombre.

Le vent froid s’engouffrait par la porte. Les trois bougies de la citrouille vacillaient de plus en plus.
Alex ferma la porte.

« Alex, reste avec ton frère. Moi et Nic on va essayer de trouver de l’eau. »
Kevin s’engouffra donc lui aussi vers l’intérieur de la maison.

Une scène bien étrange.
Yann était affalé sur un petit tapis poussiéreux placé tout juste devant l’ouverture de la porte. Son frère lui tenait le cou comme s’il eut refusé de se départir de son ours en peluche préféré. Autour, tout était obscurité, ténèbres.
Le silence était presque complet, rompu seulement par les bruits de pas et chuchotements de Kevin et Nicolas, alors qu’ils s’engagèrent dans le grand escalier de bois.
Yann n’était pas assoupi. Il rêvait à demi-éveillé, complètement interdit par la crainte.
Il songeait à une télé. Celle du salon.
Des dessins animés et un bon verre de chocolat chaud.
Sa mère se présenta devant lui et lui donna un baiser sur la joue. Et lui murmura que le dîner allait bientôt être prêt.
Yann s’en fichait, il écoutait les dessins animés. Popeye et Picsou.
Sa mère, mince et jolie, alla ouvrir la porte d’entrée principale.
« Je crois que tu devrais partir »
Partir ? Mais pour aller où ?
« La porte est ouverte, fiston ! »
Yann se retourna vers sa mère. Il se demandait pourquoi elle ouvrait la porte comme ça.
Il ne comprenait pas.
Partir où ?
La porte ?
La porte…

Yann revint à lui.
Alex avait ouvert la porte d’entrée, quelques minutes auparavant. Quelques minutes ou quelques heures ? Yann n’aurait pu le dire.
Chose certaine, il se rappelait à présent de tout. De la grimace de la citrouille, du chemin Dorval, du petit pont de bois.
De cette étrange maison.
Il fallait donc sortir. Mais où, bon sang, se trouvaient ses deux amis et son petit frère ?

Yann se leva, s’appuyant péniblement sur ce qui semblait être un antique porte-manteau.
Il regarda autour de lui.
Personne.
La porte était toujours verrouillée. Au dehors, les trois bougies étant éteintes, il était désormais impossible de distinguer la citrouille. Était-elle seulement encore là ?
Le sentiment de crainte de Yann s’estompa au profit de la nécessité d’urgence.
Il devait partir.
Il cria : « Hey ! Où êtes-vous ? »
Nulle réponse.
Yann scruta l’horizon. Aucun signe de vie.
Il se dirigea vers la pièce suivante et vers l’escalier.

La pièce était lugubre. De grands murs sombres garnis de ce qui semblait être tout un tas d’antiques tapisseries. Plusieurs meubles appartenant à une autre époque. De vieilles chaises, une table basse, une vieille penderie maintenant surannée.
Qu’était-ce que tout cela ?
Une espèce d’antichambre menant probablement vers la cuisine et le salon. Un « passage ».
Yann se demanda quoi faire. S’il se dirigeait vers la cuisine, il trouverait probablement une autre porte. Fermée ? Peut-être. Il prendrait alors quelconque arme contondante afin de briser la poignée ou une fenêtre. Et puis, en bas, il y avait encore un peu de lumière.
D’un autre côté, où pouvaient bien être ses amis ?
En haut ? Dans l’obscurité ?

« Yann ! Je suis en haut ! À l’aide ! »

C’était les cris de son petit frère, Alex.
Yann grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier.

Les cris semblaient provenir de la première pièce à gauche, tout juste entrouverte, d’où s’échappait une odeur de soufre ainsi qu’une faible lumière jaunâtre.
Yann y entra.

Aucune description détaillée ne pourrait efficacement décrire ce que Yann vit à ce moment-là. Kevin et Nicolas étaient debout au fond de la pièce. La faible lumière d’une lampe à huile éclairait les visages de ses deux amis, qui n’avaient maintenant plus d’yeux. Leurs bouches étaient drapées de pièces de sombres tissus.
Du sang s’écoulait de leurs orbites vides.
Ils étaient morts.
Yann, cette fois, ne s’écroula pas. Il songea à quitter. À partir. À fracasser n’importe laquelle fenêtre qui se présenterait sur son chemin, afin de quitter ce lieu maudit.
Le sentiment d’urgence avait gagné.
Yann recula de quelques pas et se retourna, prêt à abandonner cet endroit à toute allure.
Mais il était trop tard.

Alex se tenait entre lui et la porte.

Yann s’écroula sur le sol.

Deux certitudes envahirent Yann en ce fatidique instant. La première est que cet Alex-là n’était pas son petit frère. La seconde, tout aussi importante, que les citrouilles d’Halloween étaient placées à l’intérieur des maisons. Pourquoi ? Pour protéger les occupants des esprits malveillants qui rôdaient au dehors.
Où était posée la citrouille de cette funèbre demeure ?
À l’extérieur.
Pour préserver les gens de ce qui se trouvait à l’intérieur de la maison.
Tout simplement.

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