Thursday, October 29, 2009

Dorval (partie 1, 29 octobre 2009)

Le 31 octobre. La journée des morts.
Qu’est-ce qui pourrait bien effrayer de jeunes adolescents là-dedans? Tout le monde sait bien que l’Halloween n’est qu’une simple fête commerciale. Pour les plus jeunes, une quête pour amasser des sucreries pour le restant de l’année. Pour les plus vieux, l’occasion de relire Bram Stoker ou bien d’écouter le tout nouveau film d’horreur.
Une simple possibilité pour les gens de se distraire et se réchauffer un peu, alors que les fêtes de Noël sont encore très distantes; et que l’hiver est déjà à nos portes.
Une fête stupide, alors?

C’est bien ce que croyaient nos quatre amis qui se tenaient adossés sur les vieux montants d’une archaïque clôture de cèdre, par ce froid soir d’octobre.
Quatre jeunes, âgés entre neuf et quinze ans, pour qui la menace de fantômes et de sorcières ne représentait pas plus que les autres chimères de cet acabit.
Enfin, presque tous. Alex, ce petit rouquin chétif de neuf ans, enjoué et rose comme un des lutins du Pôle Nord, croyait à toutes ces histoires.
L’année dernière, son grand frère lui avait fait écouter L’exorcisme et il en était encore tout remué. Nul doute pour lui que tous les diables existaient bel et bien. Cachés quelque-part dans le voisinage. Dans les buissons.
Alex, cependant, était davantage un fardeau pour les autres que quoique ce soit d’autre.
Il était là, car « maman » voulait que Yann l’emporte. Yann, son grand frère de 15 ans, et en quelque sorte le chef de cette bande.
Il y avait aussi Kevin, grassouillet et ayant pratiquement l’air d’un adulte; ainsi que Nicolas, maigre et peu bavard, qui aurait suivi Yann n’importe où.
Ces deux derniers avaient quatorze ans tous les deux.

Nos quatre amis se tenaient contre cette clôture, et se demandaient tous quoi faire. Alex aurait bien aimé ramasser des sucreries, mais Yann, du haut de ses quinze ans, refusait d’aller faire le pitre devant toutes ces maisons afin de satisfaire son petit frère. De son côté, Kevin recevait des tonnes de sucreries chaque semaine de sa mère, maintenant séparée et vivant à l’autre bout de la ville. Nul besoin du 30 octobre pour satisfaire son appétit et son tour de taille. Quant à Nicolas, il était simplement là. Il aurait été en Transylvanie si Yann y avait habité.
Aussi simple que cela.
Ce sont des circonstances de la vie qui sont bien impénétrables. Notre groupe aurait pu, comme beaucoup d’autres, arpenter les rues en cueillant des bonbons et de la gomme.
Notre groupe aurait pu se déguiser.
Mais tel ne fut pas le cas.

« On fait quoi?
— Aucune idée. »
Kevin regarda Yann distraitement, avec une pointe d’amertume dans les yeux.
« Tant qu’à rien faire, je peux aussi bien retourner chez moi.
— Tout le monde est en train de ramasser des bonbons en ce moment, souligna Yann.
— On pourrait peut-être aller flâner jusqu'au bout du chemin Dorval ? »
Alex pâlit aussitôt. Yann et Kevin se tournèrent vers Nicolas, qui venait tout juste de proposer cette idée.
Ils étaient vaguement surpris, d’une part, que Nicolas ose proposer une idée et, d’autre part, que cette idée fût d’aller marcher dans l’endroit le plus lugubre de toute la ville d’Alma.
Yann gratta le sol enneigé de sa botte noire, puis dit rapidement : « Et qu’est-ce que nous irions faire là ?
— Mon père m’a déjà dit qu’il y avait une vieille maison tout au fond, près de la chute, grommela Nicolas. Une maison qui servait autrefois d’habitat pour les gens d’une secte religieuse. Je me demande si elle est toujours là. »
Alex cachait son visage entre ses petites mains.
Personne ne dit un mot pendant un long moment. Leurs esprits vagabondaient.
Au loin, les dernières lueurs du soleil perçaient un ciel déjà lourdement chargé de nuages.
Quelques flocons ici et là.
Un je ne sais quoi de lugubre et de fascinant à la fois dans cette scène étrange. Quatre jeunes en silence à propos du destin de la soirée, alors que la nuit tombait gravement sur cette petite route aux rares maisons.
On eut dit non pas une soirée d’octobre, mais plutôt d’un novembre fort avancé.
Une soirée d’hiver beaucoup plus que d’Halloween…

Yann regarda Kevin, puis enfin Nicolas, et dit : « D’accord. Allons-y.
— Et s’il y a encore des gens là-bas ?, demanda Kevin.
— On aura qu’à revenir ici. Les gens ont bien le droit de marcher, non ? Et puis de toute façon, s’il est vrai qu’il y a déjà eu une secte là-bas et qu’elle y est encore, alors l’on aura qu’à se convertir ! »
Évidemment, Yann blaguait.
— Je doute que des gens se trouvent encore là-bas. Papa a dit que c’était dans les années soixante-dix. La maison est donc probablement toute pourrie, ajouta Nicolas.
— Franchement Nico, demanda Kevin, depuis quand est-ce que tu t’intéresses aux vieilles maisons ?
— Je suis allé à Val-Jalbert l’année dernière !
— On s’en fout. »
Tous se mirent alors à rire.
Excepté Alex. Le petit rouquin de neuf ans était terrorisé. Mais il aimait son frère et avait grande confiance en lui. Alors il n’osa pas s’opposer à la volonté du groupe. D’ailleurs, il savait que la plupart du temps, il était un fardeau pour Yann. Il essayait donc d’avoir le moins souvent possible des opinions divergentes des autres. De plus, il ne démontrait jamais sa peur. Dû moins en paroles.
Car oui, il avait peur.
Et en cette heure sombre où le quatuor s’engagea dans le chemin Dorval à vélo, Alex aurait pu tout sauver. S’il avait seulement opposé résistance. S’il avait menacé de se plaindre à papa et maman, tout aurait été différent.

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